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to be or not ...
27 novembre 2018

Sophie : histoire de vie 2

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Dialogue sur la plage

C'était la fin de l'été. Déjà le ciel semblait plus bas et le bleu profond des derniers jours avait fait place à une paleur qu'on aurait crut maladive. La tempête de la veille avait oublié un reste de souffle violent qui balayait les plages désertées. La colère de l'océan avait remodelé ses abords, creusant à ses pieds de larges vallées bordées par des falaises de sable qui une fois franchies rejoignaient la plate étendue habituelle, redevenue vierge, jalonnée par endroits de gros rochers arrondis qui s'appliquaient à ressembler à des oeuvres d'art. Sculptures travaillées depuis des millénaires . Ebauches de personnages en équilibre instable veillant sur les flots devenus plus calmes. Enormes fauteuils incurvés qui après avoir accueilli tant de monde durant l'été semblaient désarçonnés de tant de solitude. L'endroit retrouvait enfin sa sérénité et peu à peu s'habituait à vivre débarrassé de toutes ses tentes et transats qui avaient égratignés sa peau depuis tant de mois d'affilés. Les goélands avaient repris leur position de repos, bien rangés, têtes dans la même direction, évitant que leurs plumes ne soient décoiffées par les rafales qui poursuivaient leur course folle. Aucun promeneur ne foulait le sable lavé et lissé par la marée haute qui s'était retirée une fois sa mission achevée.
Pourtant à bien y regarder, des traces de pieds nus se déroulaient tel un ruban serpentueux, une sorte de fresque qui, si vous la suiviez, vous menait entre de grands rochers. Et là, assises côte à côte, protégées du vent par ces remparts naturels, deux femmes conversaient. La première, petite au visage légérement émacié, encadré de longscheveux châtains clairs, s'adressait à la seconde. Cette dernière, beaucoup plus grande portait des cheveux très courts, ses traits étaient plus doux, un peu ronds.
C'était la plus petite des deux qui parlait d'un ton irrité. Ses yeux clairs prenaient un regard métallique. Sa bouche se pinçait. Son visage tout entier semblait tendu comme une peau de tambour. Elle secouait la tête, faisant voltiger ses boucles brunes comme pour mieux signifier son mécontentement.
Quand ça ne me convient pas, je m'en vais, un point, c'est tout ! Disait Sophie
D'avoir exprimé sa colère semble la détendre un peu, bien que sa bouche conserve une moue têtue.
Toute ma vie, je me suis contentée de subir. Durant mon enfance on m'a apprit à tout accepter sans jamais avoir le droit de me rebeller. C'était devenue une seconde nature.
Elle fouille nerveusement dans son sac et en sort un paquet de cigarettes et en place une au coin de ses lèvres, prend son briquet coincé dans le paquet mais ne parvient pas de suite à l'allumer. D'un geste impatient, elle la replace dans son paquet et reprend la parole.
Jusque tard, j'ai vécu comme ça, sans me poser de question. Puis un jour, j'ai pris conscience de mon mode de fonctionnement. J'ai passé du temps au travers de mes souvenirs et j'ai réalisé combien ça m'a coûté d'accepter l'inacceptable. Je remisais au fond de moi et je continuais comme si de rien.
Tout en parlant, ses traits se sont détendus, son regard s'est adouci. Elle penche la tête sur le côté comme pour mieux réfléchir.
J'avais la force du chêne alliée à la fragilité du roseau qui plie mais ne rompt point.
Sophie garde le silence quelques instants, comme enfouie en elle-même.
Si certains événements m'ont fait plier jusqu'à frôler le sol, chaque matin me voyait ressurgir en force et en espoir. Jusqu'au moment où je me suis rompue, fendue en plein milieu, comme un arbre sur lequel la foudre est tombée.
Elle se tait soudain, hésite puis replonge dans son sac et cette fois allume sa cigarette. Sa main tremble un peu. Elle tire nerveusement quelques bouffées puis reprend.
Je me suis retrouvée vide et sans force. Mais il ne m'a pas fallut bien longtemps pour ressurgir. Depuis, j'ai décidé de changer de cap et rien ni personne ne me fera changer de direction. Quand les choses ne me conviennent pas, je m'en vais.
Elle sourit à présent, comme heureuse d'avoir exprimé sa pensée. Elle sait que dans la vie c'est chacun pour soi et qu'on est toujours seule face à ses douleurs. Mais pouvoir se confier à cette amie si bienveillante lui fait un bien énorme. Elle sait que Nathalie ne la jugera pas. Nathalie ne juge jamais, ni elle, ni personne d'ailleurs. Nathalie, c'est la bonté même. La vie ne lui a pourtant pas toujours sourit. Mais elle reste fidèle à elle-même. Positive, douce, le coeur toujours grand ouvert.
Trop d'années gâchées. Trop de dégâts en moi. Si je ne prends pas soin de moi, qui le fera ? A ceux qui n'acceptent pas mes choix, je dis, passez votre chemin. Je ne suis pas obligée de me modeler sur la vision que les autres veulent avoir de moi. J'ai décidé d'être libre et de ne plus m'imposer ce qui ne me convient pas. Si je ne correspond pas au modèle imposé par la société, tant pis !
Sophie s'arrête à nouveau de parler, prend une grande inspiration comme pour reprendre son souffle après un trop grand effort. Elle semble à nouveau à deux doigts d'un coup de nerf. Nathalie ne dit toujours rien. Elle connait bien Sophie. Elle la connaît depuis tant d'années déjà. Elle sait que son amie a juste besoin de s'exprimer.
Pourquoi devrions-nous tous être stéréotypés. Je ne suis pas un mouton et je n'ai pas besoin de me calquer sur quelque modèle que ce soit.
Sophie butte un peu sur les mots. Elle passe facilement du calme olympien à la plus grande agitation. A l'intérieur d'elle, tout est trop vivant, tout est trop fragile, tout est trop violent. Sophie a 15 ans et s'insurge contre ce monde d'inégalité. Sophie a 30 ans et ne peut entrevoir un avenir riant. Sophie a 50 ans et désespère de ne pouvoir rien faire. Sophie a 70 ans et ses forces la quittent.Sophie a 80 ans, a besoin d'un appui pour ne pas tomber. Sophie a tous les âges à la fois et refuse de capituler, d'accepter.
Si je respecte certains codes incontournables pour me permettre de cotoyer les uns et les autres, ce qui m'appartient ne concerne que moi. Chacun est libre d'entrevoir sa vie. J'aime les gens mais pas forcément toutes les facettes de leur personnalité.
Elle se tait à nouveau et semble sur le point de s'en aller. Elle ajoute pourtant :
Lorsqu'une de ces facettes me devient insupportable, je préfère m'éloigner. Pour me préserver. Parce que je suis dans l'incapacité de supporter certains comportements.Tiens ! La prétention qui te jette en pleine tête une sorte de médiocité dont on semble vouloir t'affubler.
Plus les paroles fusent de sa bouche, plus ses gestes s'élargissent comme pour mesurer les mètres de prétention dont elle parle. Elle accompagne souvent ses dires de mouvements de mains et de bras comme pour donner du poids à ses discours.
Je ne parle pas de la non-communication. Certains, croyant converser, ne font qu'un monologue sans même s'apercevoir du peu de place qu'ils laissent aux autres. Et l'autoritaire, parlons de l'autoritaire. Celui qui vous emprisonne dans ses désirs, comme si vous n'en aviez pas vous-mêmes.
Cette fois Sophie en a trop dit. Elle stoppe net ses réflexions ou plutôt ses confidences. Ses yeux s'emplissent de larmes qu'elle tente de retenir.
Ne t'inquiète pas, dit Nathalie, prenant la parole pour la première fois en entourant ses épaules d'un bras réconfortant. Puis elle plaque un baiser sonore sur la joue de son amie.
Tu es si douce, toi, si lisse. Murmure Sophie. Toujours égale à toi-même. La vie semble glisser sur toi sans jamais t'atteindre
Nathalie ne dit rien et se contente de sourire. Sophie soupire, son regard est lointain. Ses traits plus détendus, comme si la crise était passée. Elle hésite un instant puis tournant le regard vers son amie comme implorant une parole pouvant venir au secours de ses tourments.
Peux-t'on changer sa nature ? J'essaie parfois. D'un côté j'aimerais laisser couler ma vie, de l'autre je n'arrête pas de m'insurger contre tout ce qui ne me paraît pas acceptable. Des raisons, j'en ai des tas ! Parfois je me demande même si je ne me les invente pas comme pour rester dans l'action.
Je te connais bien, dit Nathalie, Je sais comment tu fonctionnes. Ce que je sais aussi, ce que j'ai découvert depuis bien longtemps, c'est que sous l'apparence d'une Calamity Jane, tu caches un grand coeur. Ce que certains pourraient considérer comme des défauts, je les considère comme des qualités. C'est vrai que tu ne sais pas envelloper tes paroles mais ce que tu dis, la plupart du temps me semble juste. Tu es quelqu'un de bon sens et loin d'être méchante. Mais tu dépasses souvent ce que j'appelrais le politiquement correct. Souvent, les gens sont trop lâches pour oser verbaliser certaines choses, toi non. De nos jours, la bienséance, c'est de cacher ses pensées et de montrer un visage neutre. On nous a construit un monde vide que chacun tente de remplir par la consommation à outrance. Notre monde se déshumanise. Comme tu refuses de t'aligner, tu en paies le prix, c'est ainsi.
Sophie éclate de rire. S'il n'en reste qu'un je serai  celui-là. Claironne t-elle. Viens, marchons un peu.
Et nos amies quittent l'abri des rochers, toujours pieds nus et longent le bord d'océan qui, parfois vient les lécher d'une eau gelée bordée d'écume blanchâtre. Le soleil est déjà bas et les eaux prennent un reflet d'argent. Un vol de cormorans, haut dans le ciel et en formation bien ordonnée, rejoint leur abri de nuit, formation en V. Une journée est sur le point de s'achever, belle, vivifiante, enrichissante pour les deux amies qui ont resséré des liens menacés par le temps. Des années qu'elles ne s'étaient pas vues. Le temps qui passe peut-il mettre à mal une véritable amitié ? Elles s'étaint retrouvées comme si elles s'étaient quittées la veille. L'une et l'autre s'étaient reconnues. Une, l'anxieuse, l'autre la sereine. Et c'est ainsi qu'elles s'aimaient. Leurs coeurs battaient toujours sur le même tempo.

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